Giordano Bruno, un cousin copernicien

La citation de Virgile dans l’Enéide au début du film a été emprunté au texte « De la magie » de Giordano Bruno. Au delà de l’homonyme qui a attiré mon attention, j’ai découvert l’histoire tragique d’un penseur critique du XVIe qui fut condamné pour hérésie et brûlé vif par l’Inquisition. Son crime ? Avoir clamé et défendu l’idée d’un univers infini.

Ancien moine dominicain docteur en théologie, excommunié puis converti au calvinisme en Suisse, Giordano Bruno est ce que l’on peut appeler un « philosophe vagabond », poussé sur les routes sur fond d’instabilité politique et d’intolérance religieuse dans l’Europe du XVIe siècle. Après Toulouse et Paris, il s’installe à Londres où il tente de défendre les théories de Copernic en vain. S’en suit un bref retour à Paris avant de se s’installer en Allemagne où la fureur des guerres de religion s’est apaisé. Pourtant, là encore il est excommunié, cette fois par des protestants. De retour en Italie, il est dénoncé à l’inquisition pour ses idées « impies » puis emprisonné par le Pape Clément VIII. En 1600, après sept ans de détention, il monte sur le bûcher, refuse de se renier, et trépasse dans les flammes.

Dans cette Europe tourmentée qui voit ses rêves humanistes partir en fumée dans des guerres de religions et des conquêtes coloniales sanglantes aux Amériques, les idées de Giordano Bruno n’ont pas leur place. La conception majoritaire de l’univers alors largement enracinée dans les esprits était héritée de la pensée d’Aristote qu’on qualifie de « géocentrisme » : le terre se tiendrait seule et immobile au centre de l’univers, et autour d’elle graviteraient une sphère d’étoiles fixes qui tournerait sans fin autour de son axe.

D’abord oubliée pendant les premiers siècles du Moyen Age, l’œuvre d’Aristote fut surtout étudiée dans le monde arabo-musulman. Au XIIIe siècle avec les premiers ouvrages latins traduits du grec et de l’arabe, la pensée d’Aristote est réétudiée et christianisée par Thomas d’Aquin (1227-1274). Quand ce dernier fut canonisé en 1323 par l’Église, la pensée aristotélicienne devient la seule enseignée dans les universités en Europe. Elle se rigidifie sou l’influence de la philosophie scolastique et devient dogme.

Au moment où Bruno se forme dans les bancs des couvents dominicains, le schéma cosmologique médiéval reste presque universellement admis. En 1543, le savant polonais Copernic publie Des Révolutions des orbes célestes où il affirme que la terre tourne autour du soleil. C’est une première rupture dans la pensée et la représentation de l’univers de l’époque.

Le monde de Copernic n’est cependant pas encore tout à fait celui que nous connaissons aujourd’hui. Il garde un centre où Dieu a placé un soleil pour éclairer le monde, la sphère des étoiles fixes de la pensée aristotélicienne est désormais immobile car le terre tourne désormais sur elle même. Et surtout, l’univers a une limite.

Si Bruno a été un propagateur des idées de Copernic, il a surtout proposé une reformulation sur un point central : l’univers n’a pas de centre « parce que celui s’étend également dans toutes les directions ». Si Copernic affirme que la Terre est une planète comme les autres, il faut comprendre que le soleil n’est qu’une étoile comme les autres dans l’immensité de l’univers, et autour de ces autres soleils gravitent d’autres planètes. Dans la transformation que propose Bruno, le vide est parsemé d’étoiles, dans toutes les directions et à l’infini.

Sur le plan philosophique, le changement est radical car non seulement l’homme n’est plus au centre du monde mais le lieu qu’il habite dans un espace infini perd toute signification particulière. Bruno lui même était convaincu de la portée révolutionnaire et émancipatrice de sa pensée. Dans son œuvre, il raille et ridiculise souvent les considérations cosmologiques de l’ancien monde, n’hésitant pas à user de satires et d’outrances et ce même dans des démonstrations savantes.

Magie et rationalité au XVIème siècle

Au Moyen-âge, magie, alchimie et astrologie étaient en général tenues pour suspectes par l’Église et nombre d’intellectuels. Tout change à la renaissance, où ces « sciences empiriques », comme on les appelle alors, « sortent des « enfers » de la culture pour venir en pleine lumière » (Eugénio Garin, Moyen Age et Renaissance, Gallimard). Une poussée d’irrationnel, à une époque pourtant passionnément désireuse de comprendre rationnellement le monde et d’agir sur lui ? La contradiction est en fait plus apparente que réelle. Cette nouvelle vision d’une univers donne à la magie une nouvelle légitimité. Et puisqu’on voit désormais dans l’homme un être capable de pénétrer tous les secrets de la nature, de la plier à sa volonté, pourquoi se priverait-il d’explorer ces « pistes » dans la voie de la connaissance pratique que représentent dans cette conception du monde, magie et astrologie ? Le XVIe siècle est riche en personnages complexes, à bien des égards inclassables, tel le mage-médecin Paracelse (1493-1541). Kepler (1571-1630) astrologue autant qu’astronome, affirme : « Dans le corps du soleil il y a nécessairement une âme ». Newton lui même se passionnera encore pour l’alchimie.

L’effort de la rationalité consiste à cette époque, non pas à rejeter en bloc ces pseudo-sciences, comme on le fera plus tard, mais à tenter de « faire le tri » entre ce qui relève de la « vraie » magie (ou de la « vraie » astrologie), et ce qui est sans valeur, voir condamnable parce que démoniaque. Les discussions sont vives, et sans fin, sur la façon dont doit s’opérer cette démarcation.