« Nos ancêtres, confrontés à la diversité des phénomènes naturels, ne pouvaient éviter de vouloir leur donner un sens afin d’en conjurer le sinon inquiétant chaos. Ils eurent d’abord, et pendant sans doute des dizaines de milliers d’années, recours aux esprits et aux divinités animant les sources, les océans, les volcans, le feu, le ciel, les orages, assurant la fécondité et, en réalité, s’occupant de toute chose. (…) La médecine naturelle est alors devenue très largement magique et religieuse, intégrant diverses modalités de sacrifices et pratiques destinées à s’attirer la bonne grâce des dieux ou de leurs assistant (…)
Axel Kahn dans l’introduction de l’ouvrage «Herbes, Magie, Prières, une histoire des médecines populaires » de Yvan Brohard et Jean François Leblond, éditions la Martinière
La première mention du magnétisme remonterait à l’un des plus anciens traités médicaux : le papyrus Ebers daté du XVIème siècle avant JC pendant le règne d’Amenhotep I en Égypte. Ce papyrus fait référence à un mode d’intervention avec les mains par les prêtres afin de soulager et guérir. Pour les Égyptiens, le soleil, créateur de toute vie, pouvait être utilisé sur le corps des patients en captant les rayons du soleil avec les mains.
La pratique de soin de Bruno s’inscrit dans une longue tradition empirique de savoirs-faires de guérisseurs. En France, le personnage du « coupeur de feu » a toujours eu un rôle social important que ce soit à la campagne ou en ville. Ces pratiques ne connaissent pas de frontières : qu’on les appelle chamans, sorciers ou marabouts, ces personnages ont souvent des rôles clés au sein des communautés, entre soignants, personnages politiques et spirituels. En occident, ces pratiques sont souvent raillées sous couvert de rationalité scientifique surtout depuis le XIXè siècle qui voit l’avènement de la modernité en médecine, avec des progrès en chimie, en bactériologie et en virologie. Si l’on regarde l’histoire de la médecine occidentale depuis le haut moyen-âge jusqu’au XVIIe siècle, on peut constater que les frontières sont souvent poreuses. Jusqu’aux premières politiques de santé publiques et la naissance de l’épistémologie, le peuple a majoritairement recours aux rebouteux et aux guérisseurs traditionnels ; on compte au XVIIè siècle en France à peine 200 médecins sur tout le territoire, et les pratiques majoritaires de soin restent les saignées et les purges.
Cependant, aujourd’hui certains hôpitaux peuvent avoir recours à des magnétiseurs pour accompagner des patients dans la prise en charge de douleurs liées à certains traitements lourds comme les chimiothérapies, les radiothérapies mais aussi pour les grands brûlés. Dans ces exemples, que l’on retrouve souvent en région, c’est parfois le médecin lui même qui s’adapte aux habitudes des patient. On apprend au détour d’un reportage du 20h de France 2 du 7 mai 2015, que le docteur Mireille Mousseau du CHU de Grenoble renvoi certain-e-s de ses patients vers des magnétiseurs s’ils en expriment le souhait.
Doit-on faire confiance à la démonstration scientifique ou à l’expérience empirique pour valider une pratique de soin ? Est-ce bien légitime de se hisser sur le piédestal de la raison et de la science pour discréditer des pratiques, qui pourtant accompagnent les sociétés depuis les origines, et qui font leurs preuves encore aujourd’hui dans de nombreux parcours de soin ? Ces questions, je les laisse volontiers aux professionnels de la santé et aux guérisseurs eux-mêmes. En revanche, ce qui m’apparaît central et qui a guidé tout mon travail, c’est de comprendre et de donner à voir les mécanismes d’appropriation des pratiques de soin par des « malades », l’imbrication entre ce genre de pratiques et des prises en charge en médecine « classique » dans ces parcours de soin ainsi que la compréhension de notre environnement, de nos habitudes et de nos modes de vie. Que ces questionnements surgissent dans un snack en Provence, auprès d’un personne dénuée de toute formation académique en médecine conventionnelle ou « alternative » rend le cheminement plus singulier encore.
Par ailleurs, le terme de « magnétisme » pour désigner ces pratiques de soin est l’objet de nombreuses critiques car il serait impossible à l’heure actuelle de prouver que ces pratiques ont un lien avec les notions de champ magnétique, au sens physique du terme. Il conviendrait mieux de chercher des parallèles avec la notion de «Qi» (prononcé Chi) dans la philosophie chinoise.
Généralement traduit par « énergie » ou « fluide » le Qi désigne dans la cosmologie chinoise un principe de réalité fondé sur l’idée du souffle à la fois « matière et esprit ». Le Qi se situe entre une vision matérielle de l’énergie et une conception énergétique de la matière ; on parle aussi de « souffle-énergie ». La sinologue Isabelle Robinet décrit ce phénomène comme le « principe de réalité unique et un qui donne forme à toute chose et à tout être dans l’univers, ce qui implique qu’il n’existe pas de démarcation entre les êtres humains et le reste du monde ».
Depuis le siècle des Lumière, la cosmologie européenne et la médecine populaire ont été rationalisés par les sciences naturelles où l’homme est détaché de son objet d’étude, la nature. On admet par exemple que l’humain a une conscience que l’animal ou les plantes n’ont pas, ce qui est un postulat naturaliste absent chez des populations dites animistes par exemple. Dans la cosmologie chinoise, le Qi est immanent c’est-à-dire qu’il est présent en toute forme vivante. Il faut apprendre à favoriser sa circulation, autant sur le plan microcosmique du corps et de son réseau énergétique, que sur le plan macrocosmique dans sa relation entre le Ciel et la Terre.